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mardi 10 janvier 2012

De retour du Rwanda, janvier 2012

Je reviens tout juste du Rwanda où je suis parti quelques jours avec un réalisateur de documentaire, Bernard Mangiante. C'est Bernard Mangiante qui avait réalisé  le film « A l'écoute de la police » sur mon travail pour France 2 en 2002. Nous sommes partis là-bas  pour effectuer des repérages pour un film documentaire sur la Thérapie Sociale avec Zadig productions.

Au Rwanda,  j'ai formé déjà une trentaine de personnes de la société civile rwandaise. Cette  formation va se poursuivre maintenant pendant deux ans, l'objectif étant que ces personnes formées puissent à leur tour former d’autres personnes dans les villages afin que ces dernières deviennent des « assistants de santé communautaire », spécialisés en Thérapie Sociale. Ce sont eux ensuite qui doivent mettre en place un processus de réconciliation dans leurs villages.

En effet, dans les villages reviennent petit à petit les auteurs des massacres passés. Ils rentrent chez eux parce qu’ils sortent de prison après avoir avoué leur crime devant un tribunal populaire (la « Gachaca »). Ils retournent dans leur village et vont y retrouver les rescapés avec qui ils vont devoir vivre ensemble dorénavant…Vivre ensemble, mais aussi travailler ensemble, créer des coopératives par exemple, pour le développement du village. Entre eux, il y a énormément de méfiance et même des projets de vengeance, des revendications fortes avec, pour les victimes, la volonté d’être indemnisés par ceux-là qui les ont pillés…Certains ne veulent pas pardonner,  comme d’autres d’ailleurs ne veulent pas demander pardon. Les personnes que j’ai commencé à former pourtant arrivent à les réunir dans les villages afin qu’ils puissent discuter ensemble de ces problèmes d’indemnisation par exemple, de vivre ensemble d’une manière générale.

Cette fois, avec Bernard Mangiante, le réalisateur, je suis allé dans deux villages situés dans les collines.  Là s’étaient constitués grâce à ces personnes formées, deux groupes de quarante personnes composés pour moitié de Hutus et pour moitié de Tutsis. J’ai pu me rendre compte de ce que cette formation de Thérapie Sociale apportait. En effet, dans l’un des groupes qui venait tout juste de se créer, les personnes étaient très silencieuses et comme abattues. Tandis que dans l’autre groupe qui avait déjà suivi entre huit à dix séances de travail en commun, on pouvait percevoir une certaine ferveur et une grande envie de vivre dans la paix. Evidemment dans les deux groupes, il y a eu  aussi beaucoup de larmes et d'émotions.
 
Avec les paysans rwandais près de Butare au sud du pays: massacreurs sortis de prison et rescapés
                                       

Pour moi les limites tiennent au fond des problèmes. En effet, pour l’instant, dans les villages où ce travail a commencé, les  ennemis acceptent d'avancer ensemble, de se parler, de vivre ensemble à nouveau malgré toutes les difficultés. Mais il n’y a pas encore eu assez de réflexion en profondeur sur ces évènements tragiquement traumatiques. A en rester à ce premier stade du travail, nous risquerions de rester superficiels et il se pourrait que ces événements se reproduisent, d'autant plus que tout cette région des grands lacs est très instable. …Ce processus de « réconciliation » si on peut l’appeler ainsi sera long, mais il est  évidemment nécessaire pour ce pays.

Plus encore, ce que ces gens vivent là-bas en Afrique  doit nous aider à mieux nous comprendre. C’est pour cela que nous n’avons pas souhaité que le film soit un énième film sur « le génocide du Rwanda ». Non, il s’agit surtout d’un film sur les folies collectives. Comment elles surviennent. Comment les prévenir. Comment les guérir.

En rentrant, dans l’avion, je repensais à ces deux témoignages  bouleversants : à cette femme nous racontant qu’elle avait vu son propre père tuer ses enfants à elle, ses petits enfants à lui. Simplement parce qu’ils étaient issus d’un mariage mixte, que leur père était Tutsi. A cet homme aussi racontant qu’à lâge de onze ans, il lui a été ordonné d'aller tuer des bébés à l’aide d’un sabre qu’on lui a mis dans les mains. Ce qu’il a effectivement fait ensuite. Il dit avoir simplement obéi.

Vivre ces instants, entendre ces récits dans les paysages somptueux des collines du Rwanda, rencontrer ces paysans doux et accueillants (y compris ceux qui ont commis les pires crimes) avec l'étranger blanc  fait beaucoup réfléchir à ce qui peut emporter un peuple entier vers la  folie collective….

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