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samedi 27 octobre 2012

Rdv le 1er décembre pour une conférence à l'Ile de la Réunion

Je parlerai le 1er décembre à la conférence TED de l'Ile de la Réunion, organisée par Yves Mathieu.
Les conférences TED (Technology Entertainment Design) ont été créées dans les années 80 à Monterey, en Californie, par un groupe de créatifs réunis en une ASBL. Leur idée : confronter en un jour des esprits brillants, innovants, créatifs, réaliser un bouillon d’idées neuves. On y entend aussi bien des politiciens (Clinton, Gore), des grands scientifiques que des artistes (Bono, Peter Gabriel). Chaque participant vient gratuitement et parle 18 minutes, ni plus ni moins, un temps calculé pour une écoute maximale. Il n’y a pas de débats mais des pauses pendant lesquelles les orateurs se mêlent au public.

Un monde de gentils et de méchants



Qui sont les gentils ? Qui sont les méchants ?  C’est en ces termes-là que la réalité du monde est simplifiée, voire même trop souvent ignorée. On dit qu’il y a des musulmans gentils- « la masse des musulmans qui vivent leur religion dans le calme et la sérénité »- et des musulmans méchants- les fondamentalistes, les radicaux et les terroristes. Les rebelles syriens sont des gentils qui combattent le méchant Assad et sa clique. Le gentil Assad défend son peuple contre les méchants rebelles, armés et financés par la CIA et le Mossad qui sont des méchants. Les banques sont méchantes qui veulent le malheur des peuples ou restent indifférentes à leur sort. L’ennui est que les gentils et les méchants ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Parfois même, ça se complique : le gentil Obama a succédé au méchant Bush et puis le gentil est devenu un méchant qui fait la guerre en Afghanistan ou plutôt c’est une gentille marionnette manipulée par des méchants de l’ombre. 
Mais comment décide-t-on qui est gentil et qui est méchant ? Ce n’est pas une pensée libre qui décide, qui accepte de ne pas juger quand elle ne sait pas vraiment, qui tient compte de la complexité du monde et de ses enjeux, mais une idéologie manichéenne, forgée très tôt dans l’enfance des individus, leur relation à l’autorité, les blessures narcissiques subies ou l’histoire collective de leur groupe d’appartenance. Les uns s’identifient aux faibles et aux victimes supposées et haïssent les puissants qui les manipuleraient comme ils ont été manipulés eux-mêmes  par leurs parents, en rejetant leur héritage social et en valorisant  systématiquement le dominé et l’opprimé, du moins tel à leurs yeux.. Les autres, maltraités par des parents autoritaires et violents, évacuent leur haine sur des boucs émissaires. Toutes ces blessures d’enfants maltraités, humiliés ou abandonnés, toutes  les blessures de l’humiliation et de l’échec collectifs, telles qu’elles s’expriment, par exemple, dans le monde arabo-musulman ou dans les banlieues françaises, créent des ressentiments, des frustrations et en conséquence une violence verbale qui s’exprime sur le mode accusatoire, complotiste ou victimisant. 

Bien sûr, journalistes, politiciens ou militants  n’utilisent pas les mots des enfants : gentils et méchants, mais ils ont leur propres codes qui disent en fait la même chose en décrivant des réalités angéliques ou diaboliques. De plus, l’imaginaire manichéen du monde intérieur  de chacun est manipulé par les propagandes  qui connaissent bien la séduction de cette division du monde entre le Bien et le Mal.

Ce n’est pas la connaissance de la réalité qui importe aux propagandistes et à leurs récepteurs mais l’émotion qu’on souhaite susciter ou que l’on ressent ainsi que le sentiment de sécurité qu’offre la certitude.

Pour les propagandistes, les coupables sont invariablement les mêmes, sans que soit posée la question des interactions entre les uns et les autres. En lisant leurs écrits ou leurs témoignages visuels, on sait déjà où se situent le bien et le mal, même si l’auteur n’est pas forcément expert sur le sujet. 

Les récepteurs des propagandistes choisissent leur camp et c’est ainsi qu’on peut prédire les opinions les plus extrêmes, même quand elles s’expriment uniquement dans le cercle des proches. Ainsi le geste d’un Andres Brevik comme celui d’un Mohammed Merah sont approuvés par une masse de gens beaucoup plus importante qu’on ne le dit. Même si le crime paraît abominable, l’intention est approuvée pour l’un par ceux qui se disent écrasés et dominés par les manigances des puissants, des juifs en particulier "qui ont tout alors qu’on a rien"  et pour l’autre par ceux qui observent avec colère  "les méfaits  d’une immigration musulmane qui ne respecte pas  les codes et les normes du pays d’accueil. " Ainsi, la pensée manichéenne se répand et divise en camps irréductibles. Ce qui est la condition nécessaire, mais espérons-le pas suffisante, pour de futures guerres civiles.


mercredi 24 octobre 2012

Interview pour la Cité de la Réussite


Débat à la Cité de la Réussite octobre 2012


Mon débat à la Cité de la Réussite à la SOrbonne dans le Grand Amphithéâtre avec Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, André Comte-Sponville, Patrick Pelloux et animé par Serge Moati

lundi 27 août 2012

12-14 septembre FORUM SPIRIT OF HUMANITY REYKJAVIK ICELAND ISLANDE



12-14 Septembre, Charles ROJZMAN is invited to the inaugural meeting in Reykjavik, Iceland of a new global forum called the Spirit of Humanity. The Forum will explore the role of higher human values and spirituality in empowering effective decision making at personal, community, national and international levels. The first event has the theme
“Re-setting the Compass - creating a landscape of possibilitis. It will bring together around 100 influential individuals who recognise that lasting solutions to crises often require an involvement of the heart, rather than purely intellectual or material considerations.


"At the Forum, we wish to model an inclusive way of working and communicating as we feel that everyone can and does make a difference. Our experienced key facilitators will help in this process, ensuring that everyone’s voices are heard. Our purpose is to explore, listen and learn together. The Forum will be opened by HE The President of Iceland and our participants include those from the fields of governance, finance, environment, peace-building, education and the arts. "

mercredi 1 août 2012

Il est temps de construire une véritable fraternité !


J’ai en mémoire à l’instant cette intervention que j’ai conduite dans une banlieue de la région parisienne avec un groupe d’adultes de toutes origines. A la fin d’une longue discussion sur les problèmes du quartier, un des participants d’origine égyptienne, me rejoint à la pause et me dit : « tout ça, ce n’est pas l’essentiel. Le vrai problème, c’est la haine. »

La haine… Il me rappelait que nous avions les moyens techniques de résoudre les problèmes mais que les véritables obstacles étaient d’un autre ordre : humains et précisément passionnels. Voilà pourquoi de simples experts ne peuvent régler ces problèmes posés par la vie collective dans les territoires. Pour cela, nous avons besoin de l’adhésion, de la volonté des citoyens. Nous avons aussi besoin de leurs connaissances, de leurs expertises de terrain à eux. Cette intelligence collective est indispensable dans une vraie vie démocratique. Malheureusement, elle n’existe pas vraiment, elle reste bloquée à cause des suspicions et des ressentiments.

 Voilà pourquoi j’ai fini par développer une pensée personnelle sur ces sujets et inventer une démarche d’intervention que je pratique depuis vingt ans dans les banlieues françaises mais maintenant aussi et surtout aux Etats-Unis, en Russie, au Moyen-Orient, dans l’Afrique des Grands Lacs et aussi dans différents pays d’Europe occidentale, partout où le vivre-ensemble est menacé ou n’existe plus. 

Les résultats sont probants mais leur véritable impact relèverait d’une volonté politique et d’un acharnement à la mise en œuvre… Malheureusement, je n’ai pas suffisamment rencontré cet acharnement… En particulier dans ce pays, où les responsables politiques de droite comme de gauche se contentent trop souvent d’effets d’annonce et ne se risquent pas à entamer des processus qui supposeraient une prise de responsabilité à tous les niveaux. 

L’importance du lien 

Malgré tout, la rencontre de tous les acteurs des conflits, qu’ils soient habitants de quartiers, policiers, enseignants, élus, ou ailleurs exécutants de génocides, victimes ou auteurs du racisme et de la violence, m’a permis de comprendre le rôle du lien humain dans la résolution des problèmes complexes du monde d’aujourd’hui. Et inversement, j’ai pu constater les dangers de la solitude, du regroupement clanique, de l’égoïsme social et du manichéisme qui attribue aux uns toutes les vertus et diabolise les autres… 

Notre époque est marquée par la désintégration sociale, le communautarisme, la ghettoïsation des milieux, les ghettoïsations ethniques et sociales et la ségrégation. Du point de vue émotionnel, nous sommes touchés par la méfiance, la peur et parfois la haine. 

On nous parle de plus en plus de démocratie participative et on met en place des dispositifs comme les « conseils de quartiers », ou au Canada les « tables de concertation », sans voir que rien n’est possible sans un lien véritable qui unisse les citoyens. La démocratie participative est au mieux une coquille vide ou remplie de blabla sans véritable intérêt et au pire, ce qu’on voit dans le fameux printemps arabe, l’expression anarchique des passions collectives manipulées par des propagandes et susceptibles de se retourner contre des boucs-émissaires et de virer carrément au totalitarisme. L’histoire l’a démontré si souvent, le désordre fait peur et se trouve vite remplacé par un ordre imposé et le plus souvent rétrograde. 

Alors, attention, il n’y aura pas de véritable vivre ensemble sans un véritable processus d’éducation démocratique ! 

Mon expérience m’a montré que la sagesse et la raison ne sortaient pas toutes nues de l’expression populaire. La sagesse et la raison sont des constructions qu’il faut accompagner avec doigté. Faute de quoi cette expression collective n’exprimera que les folies individuelles, surtout dans les périodes dangereuses où le monde vacille sur ses bases et où un sentiment d’insécurité ou de perte engendrent des peurs et des rébellions sans issue. 

Créer le lien passe par le conflit 

La démocratie participative demande le lien mais ce lien doit se construire à travers le conflit. Or, nous ne sommes pas éduqués au conflit. Bien au contraire, l’évitement des conflits visibles partout est à l’origine de la violence qui empêche le lien. Ce lien ne doit pas être communautaire, tribal, ne doit pas rassembler les mêmes idéologies, les mêmes préjugés, les mêmes rengaines. Il doit se construire à travers le conflit qui met en perspective les différences de normes, de valeurs, de pouvoirs. Nous évitons le conflit car nous avons peur de la violence et nous tendons à confondre les deux. 

Dans ma définition personnelle de la violence, il y a un mélange entre le conflit et une représentation des autres diabolisés, méprisés, enviés. Cette violence s’exprime dans les rapports humains, aussi bien dans les entreprises, les organisations, les quartiers, les familles, par des maltraitances, des humiliations, des culpabilisations, des abandons. En fait, la violence est la pierre d’achoppement qui nous empêche de réaliser une société plus juste et plus saine. 

Nous avons les outils pour l’organisation mais il nous manque les outils humains qui sont la clé du vivre-ensemble. 

Les territoires de la République sont la proie des maladies sociales du haut en bas de la société: dépression, sociopathie, paranoïa empêchent de résoudre les problèmes complexes que nous posent le monde d’aujourd’hui. Chacun pour soi ou pour sa tribu, l’autre est un ennemi et pour beaucoup de citoyens, le moi lui-même est accusé de ne pas être à la hauteur. 

 Alors que faire ? 

Il nous faut d’abord éviter tout manichéisme et s’imaginer que les méchants sont d’abord seulement puissants ou racailles, remettre à l’ordre du jour un sens des responsabilités et apprendre à vivre dans une société où le conflit est devenu incontournable. La crise est là et elle n’est pas seulement économique. Elle est présente partout, c’est une crise de sens, une crise de l’autorité, une crise du travail, une crise du lien. 

On ne sortira pas de cette crise multiple par des bouts de ficelles mais par un changement de regard et une évolution qui doit concerner tous les citoyens de ce pays. Sans ce changement en profondeur, nous allons vers ce que nous voyons déjà, la séparation, le dénigrement et la guerre de tous contre tous. La guerre civile est déjà dans les têtes. Faisons en sorte qu’elle ne détruise pas les dernières fondations de notre vie démocratique, liberté-égalité-fraternité. 

Nous savons bien que ce dernier mot, fraternité, est le socle qui permet de réaliser et rendre les deux autres possibles. Mais cette fraternité n’est pas naturelle, elle s’apprend : il faut se consacrer à cet apprentissage qui doit être une priorité aujourd’hui. 

mercredi 23 mai 2012

La crise des aidants dans les quartiers populaires



J'ai écrit ce texte en 2002. Dix ans plus tard, rien n'a changé...

Depuis une quinzaine d’années que je travaille dans les banlieues, j’ai vu s’y dérouler ce qu’on a pu appeler les « années de deuil » : les professionnels de la relation d’aide, les travailleurs sociaux, les enseignants ont dû faire le deuil de leur espoir de contribuer à la promotion sociale des enfants des milieux populaires. Violentés à la fois par la crise sociale et par les agressions dont ils sont souvent les victimes expiatoires, ces aidants ont renoncé pour la plupart à l’espérance qui était au cœur de leur mission et abandonné de fait ceux dont ils étaient les alliés naturels : les habitants des quartiers populaires. Les parents immigrés devant faire le deuil de leur projet de réussite scolaire et d’ascension sociale pour leurs enfants et celui d’une intégration professionnelle ascendante, comptabilisent les discriminations raciales à l’emploi et aux portes des boîtes de nuit, les bavures policières et ressassent leurs rancœurs. Certains d’entre eux – une minorité encore – rêvent de devenir un jour des terroristes et en attendant portent aux nues Ben Laden et les héros de la geste palestinienne comme des vengeurs de leurs propres frustrations et humiliations. 

Les policiers, seuls à être présents dans les moments les plus difficiles, se sentent souvent impuissants à assurer l’ordre et la sécurité des citoyens, baissent les bras ou réagissent eux-mêmes par une violence provisoirement contenue. Eux aussi comptabilisent leurs humiliations quotidiennes et leurs victimes.
Ainsi va la France secrète des banlieues au silence parfois interrompu par des mini-émeutes et des incendies de voitures. Secrète ? Oui, parce que c’est une France dont on ne veut pas entendre parler, où se bâtissent peu à peu de véritables frontières intérieures, où se construisent des identités ethniques antagonistes qui structurent désormais la pensée collective des uns et des autres. Bien sûr ce sombre tableau de la réalité sociale doit être nuancé : l’espoir et l’envie de changement sont toujours présents ; les initiatives heureuses et les rencontres paisibles existent encore. Mais pour combien de temps ? Face à ce défi gigantesque, les institutions porteuses de légitimité sont défaillantes. Malgré les apparences, le défi n’est toujours pas relevé : on s’attaque – ou plutôt on fait semblant – de s’attaquer aux symptômes mais aujourd’hui, pas plus qu’autrefois, on ne traite les problèmes à leur racine. A la décharge des responsables politiques et institutionnels, il faut dire que les véritables dysfonctionnements ne sont pas connus. Faut d’information remontante, faute d’une véritable et honnête coopération entre les gens de terrain et leur hiérarchie et aussi entre les différentes catégories de professionnels, les institutions se comportent comme des dinosaures, inadaptées et incapables de réagir subtilement et efficacement à la complexité de la situation. 

Faute également d’une véritable écoute qui permettrait de rendre compte de la totalité des responsabilités qui existent à tous les niveaux, puisque le début sur la sécurité a été confisqué par des idéologies manichéennes dont l’une voit dans les jeunes de banlieue exclusivement des victimes de la crise économique et du racisme et l’autre des individus nuisibles, violents et irrécupérables, à éliminer par tous les moyens. Le résultat est que chaque milieu, de plus en plus séparé par la méfiance et la peur, s’enferme dans des explications mono causales et presque paranoïaques. L’autre devient irréductiblement mauvais : on ne peut que le fuir ou le détruire. Les informations ne circulant plus entre des milieux qui ne se rencontrent pas, chacun ressasse les bribes d’information qui confortent les préjugés et les stéréotypes de son groupe. Le problème de la sécurité, lancinant dans les discours et repris à satiété, est un symptôme majeur, le symptôme majeur d’une maladie de la société. Comme tout symptôme, il contient à la fois le risque - aujourd’hui celui d’une véritable désintégration sociale et peut-être des germes de futures guerres civiles – et une indication sur la piste à suivre pour sortir de l’impasse. 

Risquons une hypothèse : l’insécurité et la violence, loin d’être des phénomènes marginaux, représentent de véritables obstacles au développement et à la vie démocratique des quartiers populaires, et cela pour quatre raisons principales : 

      1) Les professionnels de l’enseignement, de l’éducation, du travail social qui étaient les alliés naturels des habitants des cités et en particulier des jeunes et des enfants pour des raisons idéologiques et affectives (choix du métier, appartenance à des mouvements associatifs ou politiques de gauche, volonté d’émancipation et d’éducation du peuple), se voyant trop agressés et violentés abandonnent de plus en plus la population des quartiers, les jeunes surtout quand ils sont trop « remuants ». Par ailleurs, en se centrant sur les « jeunes violents », en les mettant au centre de toutes les préoccupations, on oublie les autres et leurs souffrances souvent invisibles. On finit par ne plus aimer les habitants, le quartier et on n’est plus porté par l’espérance qui est au cœur de ces métiers. Aussi les jeunes d’origine maghrébine et africaine surtout, sans alliés désormais, voient se confirmer leurs préjugés et leurs paranoïas sur des services publics « incompétents, racistes, coloniaux » ; ils se retrouvent seuls, livrés aux bandes, au caïdat et bien sûr aux islamistes « frères en ethnie et en religion ».

   2) La violence et les agressions permanentes dont ils sont victimes renforcent chez d’autres professionnels représentant classiquement l’ordre et la fermeté – et qui se retrouvent dans l’impuissance – la xénophobie, le racisme, les préjugés, le désir de répression.


    3) La violence empêche la libre expression, la circulation de la parole, donc l’information circulante, l’intelligence collective, donc la résolution des problèmes quotidiens. Plus encore, la violence empêche l’existence du militantisme, du démarchage politique, de l’agora. 

     4) La violence, commise surtout par des « basanés » fait fuir les « blancs » des cités, des écoles, des logements sociaux et donc favorise la ghettoïsation et l’ethnicisation des relations sociales.

Ces professionnels qui travaillent dans et autour des quartiers de banlieue : policiers, pompiers, personnels des établissements scolaires, travailleurs sociaux divers, aujourd’hui démotivés et rendus parfois enragés par leur sentiment d’impuissance et d’inutilité subissent de plein fouet les quatre crises qui affectent notre société : crise de l’autorité, crise des institutions dont nous avons parlé plus haut, crise du lien social, crise du travail et des valeurs qui traditionnellement accompagnaient le travail : ils ne parviennent pas à coopérer avec des populations informées de leurs droits, certes, mais aussi parfois victimisées et déresponsabilisées à partir de commentaires sur leur sort trop bien intentionnés, mais de réflexion courte, ou à partir d’informations de toute origine, et parfois des plus partiales qui les referment davantage sur eux-mêmes et sur les ressentiments qu’ils cultivent et renforcent en vase clos.

Ces professionnels pourraient pourtant devenir les véritables créateurs de la nouvelle richesse : l’intelligence. Car en réalité le développement et même la survie des sociétés humaines ne repose plus uniquement sur l’exploitation des ressources naturelles du sol et du sous-sol mais sur les qualités de coopération éthique, de régulation de la violence, d’intelligence et de partage des informations. Nos sociétés sont malades parce qu’elles ne sont pas adaptées à cette réalité nouvelle et qu’elles vivent sur des schémas archaïques : les institutions – héritières de modèles dépassés ont des fonctionnements qui ne permettent pas le développement de l’intelligence, du pouvoir et de la créativité du plus grand nombre. Elles génèrent des pathologies sociales qui s’expriment par différentes formes de violence, dans tous les milieux sociaux et pas seulement dans les quartiers populaires. La violence sous toutes ses formes est donc un symptôme de cette inadaptation des institutions. Le plus grand danger est que la violence des individus (dépression, toxicomanie, agressivité, délinquance, paranoïa) se socialise et se transforme en violence des groupes et des clans les uns contre les autres, et en une demande de sécurité et d’autorité absolues, donc en conflits ethniques et en totalitarismes.

Pour que le changement soit possible, il est nécessaire de développer la sociabilité et de maîtriser la violence, obstacle justement à la coopération et à l’intelligence collective. Les nouveaux producteurs de cette richesse-là, ou plus exactement des conditions de cette richesse sont les enseignants, formateurs, psychologues, psychothérapeutes, animateurs, associatifs, travailleurs sociaux, policiers et gardiens de prison. Ils ont besoin pour jouer ce rôle d’apprendre à travailler ensemble, d’être outillés et formés, et de voir leur nouveau rôle reconnu et valorisé.

Or malheureusement, pour le moment, ces travailleurs-là vivent sur des représentations archaïques de leur rôle, dans le cloisonnement et le corporatisme, repliés sur des identités défensives et peu valorisées : d’où leur isolement, leur scepticisme, leur découragement, pour ne pas dire leur désespoir. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, l’identité du policier aujourd’hui est en train de se métamorphoser sous nos yeux : les policiers ne peuvent plus être le bras armé d’un état fort qui n’existe plus ni les défenseurs de l’ordre social au service des riches et des puissants. Car les riches et les puissants ont de moins en moins besoin de policiers : ils ont leurs propres moyens de sécurisation : ségrégation sociale, quartiers réservés et surveillés, appareillage électroniques, vigiles et polices privées.

Les policiers, au contraire, devraient pouvoir aujourd’hui contribuer à créer une vie vivable pour les plus démunis : sinon, les peurs et les haines réciproques aboutiront à la création de ghettos de riches et de pauvres, à la création de boucs émissaires, au conflits ethniques et en fin de compte à la tentation du totalitarisme, remède en définitive, faute de mieux, à la solitude , à l’impuissance et à la peur du désordre. Ce qui est vrai des policiers l’est également pour autres professionnels dont nous avons parlé : la crise des représentations et la dure réalité qu’ils doivent affronter ne pourra être résolue que par une métamorphose en profondeur de la conception de leur métier, transformation soutenue et accompagnée par l’ensemble du corps social. Faute de quoi, le pire est possible : les violences collectives se construisent peu à peu, par une sorte de sédimentation des peurs, des haines, des malentendus et des incompréhensions.  

 "La crise des aidants dans les quartiers populaires" de Charles Rojzman publié dans la Revue de Psychologie de la Motivation - n° 34 - 2002 

 

mardi 22 mai 2012

Grand entretien dans Psychologies Magazine

Ce mois-ci, je suis "l'invité" de Psychologies Magazine. Grand entretien "Chacun doit faire un travail sur sa propre violence".

Cliquez sur l'image pour lire l'article

mardi 3 avril 2012

A écouter: l'émission " Autour de la question" sur RFI "Pourquoi sortir de la violence par le conflit?"

Emission "Autour de la question" du 3 avril 2012 - Par Caroline Lachowsky
 
Charles Rojzman, sociologue et psychothérapeute, est notre invité pour tenter de répondre à la question : « Pourquoi sortir de la violence par le conflit ? »

Sociologie, psychologie sociale, philosophie… La vie en société fait l’objet d’une quantité impressionnante d’analyses et de réflexions. Pourtant, aucun remède miracle n’a jamais été trouvé pour bien vivre ensemble. Depuis plus de 20 ans, Charles Rojzman essaie pourtant d’apporter quelques solutions et s’intéresse notamment aux questions de la violence. Ce sociologue et psychothérapeute a d’ailleurs créé une discipline, la thérapie sociale, qui a pour but de dépasser ses préjugés pour se réconcilier et apprendre à vivre en harmonie les uns avec les autres. Sa nouvelle théorie : « Sortir de la violence par le conflit » vise à susciter la rencontre entre les personnes ou les groupes qui se haïssent, se méprisent ou s'ignorent, pour enfin sortir du sentiment d'impuissance et restaurer le lien social.

Ecouter l'émission :  PARTIE 1 

Ecouter l'émission: PARTIE 2


mercredi 28 mars 2012

4 avril: conférence à Grenoble

Conférence à Grenoble le 4 avril 2012:  "Quelle action collective pour mieux vivre ensemble?" 
Infos ici: http://www.institut-charlesrojzman.com/Files/flyer_conference_grenoble.pdf

Toulouse: le drame de la haine

Texte publié sur le site du magazine Psychologies qui demandait ma réaction sur les évènements avant que l'on sache qui était le responsable des tueries de Toulouse et Montauban:

TOULOUSE: LE DRAME DE LA HAINE
 
"La haine est une maladie de l’âme qui ignore l’humanité de l’autre” prévient, à propos du drame de Toulouse, le sociothérapeute Charles Rojzman. Existe-t-il vraiment un climat délétère en France ? Savons-nous encore vivre ensemble ? La réponse de Charles Rojzman.
Les tueries de Montauban et de Toulouse, très médiatisées à juste titre en raison de l’horreur des actes commis par le meurtrier, sont-elles le symptôme d’un climat « délétère » comme le disent certains ? Sont-elles le symptôme d’un vivre-ensemble endommagé par des paroles de haine à l’encontre de tel ou tel groupe ?

Je crois plutôt que les commentaires sur ces événements en disent long sur la déchirure qui parcourt la société française au sujet du vivre-ensemble. Pour les uns, le vivre-ensemble doit réconcilier à tout prix les cultures, les origines et les modes de vie. Pour les autres, il n’y a pas de vivre-ensemble possible parce que les différences sont autant d’incompatibilités et de menaces. La majorité ne se retrouve pas dans ces positions radicales mais plutôt dans la confusion et la perplexité, entre l’aspiration à la tolérance et la peur suscitée par des événements réels.
Le véritable problème dans la société française, selon moi, n’est pas la diversité mais la haine. 

Dans les relations humaines, aussi bien à l’intérieur des familles, dans les institutions et les entreprises, au niveau collectif enfin, la haine tient une place que l’on néglige trop souvent. C’est la haine qui empêche le vivre ensemble, la haine qui voit dans l’autre un monstre, la haine qui se focalise uniquement sur le mal en l’autre, et qui ne le voit plus dans toute sa complexité. Cette haine est en train de déchirer la société française et empêche un véritable débat démocratique entre gauche et droite, peuple et élites, juifs et musulmans, antiracistes et partisans du Front national.... Mais surtout, il ne faut pas être naïf : la haine ne doit pas être confondue avec la lutte nécessaire contre les volontés de domination et les atteintes à la civilité, aux droits des hommes et des femmes. Ne nous trompons d’indignation: le geste de l’homme qui attrape une petite fille de 6 ans par les cheveux et lui tire une balle dans la tête parce qu’elle représente pour lui l’ennemi, c’est cela qui est la haine véritable. La diversité, inévitable dans ces temps troublés, suppose le conflit, la défense, et parfois l’attaque. Le véritable vivre ensemble contient tout cela, en même temps que la compassion et la générosité. La haine c’est une toute autre affaire. Sachons alors distinguer la lutte nécessaire pour la protection de soi et des siens et la haine qui est une maladie de l’âme et qui ignore l’humanité de l’autre.