Qui sont les gentils ? Qui sont les méchants ? C’est en ces termes-là que la réalité du
monde est simplifiée, voire même trop souvent ignorée. On dit qu’il y a des
musulmans gentils- « la masse des musulmans qui vivent leur religion dans
le calme et la sérénité »- et des musulmans méchants- les
fondamentalistes, les radicaux et les terroristes. Les rebelles syriens sont
des gentils qui combattent le méchant Assad et sa clique. Le gentil Assad
défend son peuple contre les méchants rebelles, armés et financés par la CIA et
le Mossad qui sont des méchants. Les banques sont méchantes qui veulent le
malheur des peuples ou restent indifférentes à leur sort. L’ennui est que les
gentils et les méchants ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Parfois même,
ça se complique : le gentil Obama a succédé au méchant Bush et puis le
gentil est devenu un méchant qui fait la guerre en Afghanistan ou plutôt c’est
une gentille marionnette manipulée par des méchants de l’ombre.
Mais
comment décide-t-on qui est gentil et qui est méchant ? Ce n’est pas une
pensée libre qui décide, qui accepte de ne pas juger quand elle ne sait pas
vraiment, qui tient compte de la complexité du monde et de ses enjeux, mais une
idéologie manichéenne, forgée très tôt dans l’enfance des individus, leur
relation à l’autorité, les blessures narcissiques subies ou l’histoire
collective de leur groupe d’appartenance. Les uns s’identifient aux faibles et
aux victimes supposées et haïssent les puissants qui les manipuleraient comme
ils ont été manipulés eux-mêmes par
leurs parents, en rejetant leur héritage social et en valorisant systématiquement le dominé et l’opprimé, du
moins tel à leurs yeux.. Les autres, maltraités par des parents autoritaires et
violents, évacuent leur haine sur des boucs émissaires. Toutes ces blessures d’enfants
maltraités, humiliés ou abandonnés, toutes les blessures de l’humiliation et de l’échec
collectifs, telles qu’elles s’expriment, par exemple, dans le monde
arabo-musulman ou dans les banlieues françaises, créent des ressentiments, des frustrations et
en conséquence une violence verbale qui s’exprime sur le mode accusatoire,
complotiste ou victimisant.
Bien
sûr, journalistes, politiciens ou militants
n’utilisent pas les mots des enfants : gentils et méchants, mais ils
ont leur propres codes qui disent en fait la même chose en décrivant des
réalités angéliques ou diaboliques. De
plus, l’imaginaire manichéen du monde intérieur
de chacun est manipulé par les propagandes qui connaissent bien la séduction de cette
division du monde entre le Bien et le Mal.
Ce n’est
pas la connaissance de la réalité qui importe aux propagandistes et à leurs
récepteurs mais l’émotion qu’on souhaite susciter ou que l’on ressent ainsi que
le sentiment de sécurité qu’offre la certitude.
Pour les
propagandistes, les coupables sont invariablement les mêmes, sans que soit
posée la question des interactions entre les uns et les autres. En lisant leurs
écrits ou leurs témoignages visuels, on sait déjà où se situent le bien et le
mal, même si l’auteur n’est pas forcément expert sur le sujet.
Les récepteurs des propagandistes choisissent leur camp et c’est ainsi qu’on peut prédire les opinions les plus extrêmes, même quand elles s’expriment uniquement dans le cercle des proches. Ainsi le geste d’un Andres Brevik comme celui d’un Mohammed Merah sont approuvés par une masse de gens beaucoup plus importante qu’on ne le dit. Même si le crime paraît abominable, l’intention est approuvée pour l’un par ceux qui se disent écrasés et dominés par les manigances des puissants, des juifs en particulier "qui ont tout alors qu’on a rien" et pour l’autre par ceux qui observent avec colère "les méfaits d’une immigration musulmane qui ne respecte pas les codes et les normes du pays d’accueil. " Ainsi, la pensée manichéenne se répand et divise en camps irréductibles. Ce qui est la condition nécessaire, mais espérons-le pas suffisante, pour de futures guerres civiles.
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